Un peu de lumière au bout du tunnel
Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les deux premières parties d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne[1], une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.
Après une bonne nuit de sommeil, j’ai été réveillé par deux hommes venus pêcher dans la rivière se trouvant près de l’aire de repos où j’étais installé. J’ai profité de leur présence pour refaire mes réserves d’eau potable. En effet, la générosité des passant(e)s semble augmenter proportionnellement à la distance séparant un(e) cycliste de la ville la plus proche.
Je ne compte plus les inconnu(e)s s’arrêtant sur la route afin de m’offrir de l’eau, de la nourriture, des encouragements, un endroit où dormir, ou de me transporter vers ma destination (la seule offre que je refuse systématiquement). Bien que je sois préparé à être entièrement autonome, une partie de moi compte toujours sur ces dons imprévus dans les moments difficiles.
En cette deuxième journée, ma patience avait déjà atteint ses limites, à un tel point que je me suis surpris à être intérieurement en colère de me faire systématiquement demander si tout allait bien. Ce n’était pas le cas entre mes deux oreilles. J’étais à un des points les plus isolés du pays, et il y avait tout de même trop de gens. Quelques heures plus tard, un groupe de chasseurs s’est arrêté pour m’offrir un repas et une bière. J’ai discuté une vingtaine de minutes avec eux. Cet intermède, permis par de forts vents chassant les insectes ainsi que par l’absence de pluie, m’a changé les idées.
J’approchais désormais le point de non-retour : le milieu de la route séparant Happy Valley-Goose Bay et Port Hope Simpson. La pluie avait cessé et l’état de la route s’améliorait. La journée avait passé plutôt rapidement et j’ai pu poser ma tente au sec. Mon campement était à moins d’une dizaine de mètres de la route, mais le trafic était si faible que cela ne représentait pas un problème. J’étais au sommet d’une crête et protégé du vent par la forêt.
Cette fin de journée aurait été parfaite, si ce n’avait été d’un des curseurs de la fermeture éclair de ma tente qui s’est brisé à ce moment. Je devais désormais ouvrir la fermeture éclair entièrement pour y entrer ou en sortir, ce qui signifiait que plus d’insectes réussissaient à se faufiler à l’intérieur chaque fois. Pour l’instant, elle était cependant fermée et cela me suffisait. Je pouvais retrouver mon livre et le confort de mon sac de couchage.
Point de non-retour
Le matin du troisième jour, j’avais retrouvé mon aplomb. Le ciel était toujours aussi mauvais, mais plutôt que de m’éloigner de la civilisation, aujourd’hui, je m’en approchais. En fin de matinée, un couple du Texas s’est arrêté une centaine de mètres devant moi. En m’approchant d’eux, j’ai été surpris de voir le conducteur hors de son véhicule avec un appareil-photo en main. Celui-ci m’a fait signe de m’arrêter, avant de m’expliquer qu’il était aussi un cycliste et qu’il me saluait pour ma persévérance. Il m’a ensuite offert de la nourriture, que j’ai volontiers acceptée.
Je lui ai demandé de m’envoyer ses photos de moi par courriel, de même que ses photos de la route Translabradorienne, puisque mon appareil-photo était brisé. Il a accepté avec plaisir, mais m’a annoncé quelques jours plus tard qu’il avait perdu tous ses clichés en raison d’un problème de carte mémoire. Décidément, cette route ne voulait pas être photographiée…
Le temps passait de plus en plus vite, et j’ai rapidement atteint ma destination pour cette troisième journée. Après quelques minutes à chercher un endroit où m’installer pour la nuit, j’ai eu le plaisir de découvrir une carrière désaffectée. J’y ai posé ma tente en plein centre et j’ai profité de l’absence d’eau et de végétation pour passer du temps dehors sans être ennuyé par les mouches noires. Je pouvais enfin retirer mon habit moustiquaire et manger à l’extérieur. Je me suis même permis de lire dehors, jusqu’à ce que la fatigue et l’obscurité me forcent à me coucher.
Plusieurs Labradorien(ne)s m’avaient mentionné que les équipes de pavage étaient à environ 80 kilomètres de la jonction avec la route #500. Quelques heures après avoir quitté ma tente, j’ai enfin atteint la zone de construction. Malgré quatre jours sans voir le soleil, mon moral était à son meilleur. J’ai cependant rapidement découvert que les centaines de kilomètres de route de gravier avaient gravement endommagé mon boîtier de pédalier, lequel présentait maintenant un jeu de plus d’un millimètre.
Retour à la civilisation
J’ai accéléré le pas afin d’atteindre Happy Valley-Goose Bay avant 17 h, l’heure de fermeture de la plupart des commerces. Malgré le plaisir d’avoir atteint ma destination, je devais absolument faire réparer ma tente et mon vélo avant de quitter la ville. Au bureau d’information de la ville, j’ai été surpris d’apprendre qu’on y trouvait un magasin spécialisé en réparation de tentes. On m’a toutefois informé qu’il n’y avait pas de boutique de vélos, mais on m’a dirigé vers deux magasins qui pourraient peut-être m’aider.
Le premier était à proximité, mais ne réparait que des motos. Il était maintenant 16 h, et je me trouvais à une dizaine de kilomètres du second. En chemin, je me suis arrêté chez Terry’s Tents pour faire remplacer les curseurs de ma tente. Leur couturier spécialisé en tentes était absent, mais après avoir insisté, on a tout de même accepté de m’aider. Pendant que j’attendais, Robin, mon contact sur CouchSurfing, est venue me retrouver. Je lui ai expliqué ma situation puis elle m’a offert son aide.
Mon vélo n’entrait pas dans sa voiture, mais je lui ai laissé mes bagages. Dès que ma tente fut réparée, j’ai enfourché mon vélo en direction de l’autre bout de la ville. Je filais à plus de 30 km/h, soit presque trois fois plus rapidement que ma moyenne depuis Blanc-Sablon. Lorsque je suis arrivé, à 16 h 55, un employé de Minipi Outfitters en était à ranger des vélos à l’intérieur pour la nuit. C’était donc bel et bien un magasin de vélos! Le mécanicien m’a expliqué qu’il ne pouvait pas s’occuper de moi tout de suite, mais que ma monture serait sa priorité le lendemain matin. Il n’avait pas de boîtier de pédalier compatible en inventaire, mais il vérifierait s’il pouvait en trouver un sur ses vélos en démonstration.
J’avais au moins pu réparer ma tente, mais j’étais plutôt inquiet pour mon vélo. Le prochain magasin se trouvait à plus de 1 000 kilomètres de distance, à Baie-Comeau. Robin m’a offert de passer une journée de plus chez sa famille, le temps d’avoir une réponse du mécanicien, ce que j’ai accepté avec plaisir. Elle m’a ensuite transporté jusque chez elle, où sa mère m’avait préparé un succulent repas, accompagné d’une bonne bière.
Ce bris mécanique remettait en question l’achèvement de mon aventure, mais le plus difficile était derrière moi. On m’avait beaucoup parlé de la fameuse route #389, au Québec, mais j’étais très confiant. Peut-être un peu trop.
La suite dans l’édition de mai,
[1] Le début d’une grande aventure et À la découverte du Labrador, L’Heuristique
Cet article a d’abord été publié en mars 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].