Un incident de parcours
Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les quatre premières parties d’un texte concernant ce voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.
La journée a commencé tard. Le temps de faire mes courses, il était passé midi lorsque j’ai quitté Labrador City. Mon vélo était plus chargé que jamais. J’avais réussi à suivre mon itinéraire jusqu’ici et je transportais donc, en plus de mes rations journalières, toutes mes réserves de sécurité, au cas où je prendrais du retard.
Les premières côtes menant jusqu’à la frontière québécoise ont été difficiles, mais j’ai rapidement pris mon rythme. J’ai atteint la mine Mont-Wright en milieu d’après-midi. C’est ici que commençait la section de gravier la plus étroite et sinueuse de la route #389.
On m’avait beaucoup parlé de ce tronçon de la route, mais elle ressemblait à tout sauf à ce que j’avais imaginé. La surface était bien compactée et exempte de pierres lâches. Les côtes, bien que très pentues, étaient courtes et succédaient rapidement. La #389 prenait ici des airs de piste cyclable en montagne. J’y roulais confortablement à plus de 20 km/h en moyenne. Je n’avais pas éprouvé autant de plaisir depuis longtemps.
Malheureusement, le pavage recommence après le site de la mine Fire Lake. De plus, le soleil tombait. J’ai donc installé ma tente quelques kilomètres plus loin, au bord de la route.
Le lendemain matin, je roulais en direction du Relais Gabriel. La route était belle, mais je savais que je croiserais plus loin le massif des monts Groulx. Pour l’instant, je profitais cependant d’un peu de repos, jusqu’à l’ancienne ville de Gagnon, fermée en 1985 suite à la fin des activités de la mine Fire Lake.
Après les photos protocolaires de la ville abandonnée, notamment celle de l’ancien boulevard à chaussée divisée, j’ai repris la route vers les montagnes longeant le réservoir Mamicouagan. En cet après-midi du mois d’août, il faisait plus de 35 degrés et un soleil de plomb. Avec la fatigue accumulée, les longues montées me paraissaient interminables.
Pédalant un kilomètre à la fois, j’ai finalement atteint le Relais Gabriel où m’attendait une généreuse portion de cipâte, de betteraves et de tarte aux bleuets. Après avoir discuté avec plusieurs clients du relais, deux écologistes m’ont invité à dormir dans leur chambre.
L’idée semblait bonne, mais après une si chaude journée, l’étage du relais baignait dans une chaleur accablante. Il m’a fallu jusqu’à 3 h du matin avant de trouver le sommeil.
À mon réveil, ma forme était tout sauf enviable. La situation n’était pas idéale sachant que la route vers Manic 5 n’est pas pavée et présente un dénivelé cumulatif de 1 700 m. Après avoir mangé mon déjeuner sans appétit, j’ai tout de même pris la route.
La journée était à nouveau chaude et ensoleillée. Je roulais par automatisme, mais je n’avais pas d’énergie. Vers 13 h, je me suis forcé à manger une barre tendre. La faim ne se faisait toujours pas sentir. Pour ajouter à mon malaise, des orages se sont mis de la partie en fin d’après-midi.
Sans trop en être conscient, j’ai finalement atteint l’évacuateur de crues du réservoir Manicouagan. J’y étais enfin, au barrage Daniel Johnson. La joie de cette nouvelle m’a redonné un peu d’énergie. J’ai roulé jusqu’au Motel de l’Énergie et je me suis préparé à souper. Je me suis forcé à tout manger, mais je n’avais toujours pas d’appétit. Je me suis couché tôt, à bout de forces.
À deux heures du matin, je me suis réveillé en sueurs. Je ne me sentais pas bien, pas du tout. Je suis sorti de ma tente au pas de course. J’étais malade. Je vous épargne les détails, mais le reste de la nuit a été dépourvu de sommeil.
Au lever du jour, je suis allé au restaurant où j’ai passé la matinée, faisant l’aller-retour jusqu’aux toilettes. Je suis allé faire la visite touristique à la centrale hydroélectrique avec comme seule motivation l’envie de ne pas gaspiller entièrement ma matinée.
À mon retour au restaurant, les ambulanciers de Manic 5 m’ont posé des questions sur mon état, mais n’étaient pas en mesure de m’aider. À 15 h, j’ai décidé de tenter de me rendre au Relais Manic Outardes, situé à plus de cent kilomètres de là.
Trente kilomètres plus loin, je ne pouvais plus avancer. Je me suis mis à faire du « pouce » dans les deux directions, en roulant difficilement. La destination m’importait peu, tant que c’était ailleurs qu’ici. Une famille d’autochtones m’a ramené à Manic 5. Je suis allé voir les ambulanciers, mais leur seule offre était de me transporter jusqu’à Baie-Comeau, moyennant des frais imposants.
J’étais donc coincé, seul, dans le milieu de nulle part. Je me suis installé devant la station-service à la recherche de transport vers Baie-Comeau. Après plusieurs essais infructueux, un jeune homme m’a offert son assistance. Il était désormais 23 h.
Après quelques minutes, j’ai compris que mon chauffeur était drogué. Cela a été confirmé lorsqu’il m’a offert une dose. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas d’autre option et, une chose était certaine, nous finirions à l’hôpital d’une manière ou d’une autre.
Je suis finalement arrivé à l’hôpital de Baie-Comeau sans heurts, vers 1 h. C’est ici que mon voyage prenait fin, d’une bien triste manière…
La suite dans l’édition de novembre,
Cet article a d’abord été publié en septembre 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].