Le Début d’une grande aventure
Le 1er mai dernier, j’ai publié dans L’Heuristique un article annonçant mon départ pour quatre mois au cours desquels j’allais traverser le Canada, À vélo d’un océan à l’autre[1]. Comme à mon habitude, j’ai visé au-delà de mes capacités. Si le succès de cette stratégie avait été mitigé lors de mes voyages d’avril et de juillet 2015, respectivement au Saguenay et au Colorado, celle-ci a mieux fonctionné cette année.
Malgré une réussite décisive, cette nouvelle aventure n’a pas été sans embûches. Après un départ fulgurant, la situation s’est gâtée à mon arrivée en Saskatchewan. J’y ai été accueilli par plusieurs jours de vents puissants en provenance de l’est, une situation exceptionnelle. Après avoir traversé la frontière du Manitoba, je n’ai pas eu de repos, puisque c’est cette fois la pluie qui s’est mise de la partie.
Après un mois de temps anormalement chaud et sec, une journée d’orages violents m’avait énergisé. Cependant, il s’agissait de la première de 14 journées pluvieuses, lors des 16 jours suivants; un dur coup pour le moral. Cette pluie acharnée était accompagnée d’une température oscillant entre 10 et 15 °C. La situation a même empiré une fois que je fus rendu au Québec. Mon premier réveil dans la belle province s’est fait sous la neige fondante alors qu’il ne faisait que 2 °C. Heureusement, je n’étais plus qu’à quelques jours de la maison.
Avec maintenant plus de 45 % de la distance parcourue, mon départ de Montréal vers Saint-Jean de Terre-Neuve s’est fait sous le signe de la facilité. Il faisait beau, il faisait chaud, et j’étais en pleine forme. J’ai payé le prix de cette trop grande aisance à mon arrivée près de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick, lorsque la pédale droite de mon vélo s’est scindée en deux. Après 70 km à pédaler d’une seule jambe, j’ai été secouru par un bon samaritain, lequel m’a gracieusement transporté de Shediac à Moncton pour remplacer cette pédale avant de me ramener à Shediac.
Cet incident ne m’a pas ralenti. Au contraire, j’ai rejoint le traversier de North Sydney une journée avant son départ. Deux jours plus tard, j’arrivais enfin à la dernière province de cette traversée du pays : Terre-Neuve-et-Labrador. Les trois jours suivants furent très difficiles en raison du relief accidenté, du froid, de la pluie abondante et des vents violents, mais si près du but, il m’en aurait fallu beaucoup plus pour m’empêcher de compléter ma traversée du Canada.
Cinq ans, presque jour pour jour, après un accident de vélo qui aurait dû me coûter la vie, j’avais enfin atteint cet objectif qui me semblait pourtant inatteignable il y a quelques mois. Les 950 kilomètres qu’il me restait à parcourir sur l’île de Terre-Neuve ne m’ont, quant à eux, pas donné trop de difficultés. Malgré mes intentions, le piètre état de la Newfoundland T’Railway m’a cependant forcé à emprunter plutôt la route Transcanadienne.
Une aventure qui ne faisait que commencer
Comme je l’expliquais dans mon article Les grandes routes du Nord américain, à vélo[2], la route Translabradorienne qui relie Blanc-Sablon à Baie-Comeau comporte de longues sections non pavées et très isolées. La difficulté de cette route donne à la traversée du Canada un air de tour d’échauffement.
Avant même de commencer, je souhaitais atteindre l’extrémité ouest de ce petit tronçon de la route 138, à Vieux-Fort. Cet aller-retour de 132 kilomètres depuis Lourdes-de-Blanc-Sablon représentait un défi de taille. En plus d’être balayée par les vents impitoyables de la Basse-Côte-Nord, cette route a de nombreuses pentes à fort pourcentage d’inclinaison. J’ai d’ailleurs pu y atteindre la vitesse impressionnante de 80 km/h, soit la plus élevée que j’ai atteinte lors de ce voyage qui m’avait pourtant amené à traverser les Rocheuses, beaucoup plus hautes que les montagnes de l’est du pays.
De retour à Lourdes-de-Blanc-Sablon, il me fallait maintenant quitter la civilisation pour de bon. La route jusqu’à Red Bay, au Labrador, s’est avérée être aussi mauvaise que sa contrepartie québécoise. Ces 80 kilomètres signifiaient aussi la fin du pavage, jusqu’à Happy Valley-Goose Bay. À ce moment, cela m’importait toutefois peu, car par cette journée sans vents, j’ai découvert ce qui serait le réel défi de la Translabradorienne : les mouches noires. Ni la crème contre les insectes ni un habit moustiquaire n’allaient m’en épargner.
Le soir venu, j’ai regretté les belles soirées dans les montagnes à lire au bord d’un feu. Enfermé dans ma tente en compagnie de quelques dizaines d’insectes s’y étant faufilés, je me suis demandé ce que je faisais là. Vers 3 h 30, aux premières lueurs du jour, j’ai été réveillé par ce qui me semblait être des centaines de caribous. Je suis sorti, mais un dense brouillard m’empêchait de voir plus loin que quelques mètres. J’ai profité de la fraîcheur nocturne pour passer quelques instants de solitude hors de ma petite tente, à écouter leur chant. Ce sont ces instants magiques, si courts soient-ils, qui font oublier tous ceux que l’on regrette pourtant au moment de les vivre.
Quelques heures plus tard, à mon réveil, j’ai couru dehors chercher ma réserve de nourriture, à plusieurs dizaines de mètres de mon campement. Cette tentative de ne pas me faire mordre ou piquer par des hordes d’insectes n’a pas été un franc succès, mais je l’ai tout de même répétée chaque matin pendant les deux semaines suivantes. Il était hors de question que je prenne le temps de mettre mes habits longs simplement pour cela. Pas de thé ni de gruau ce matin-là, je devais cuisiner à l’intérieur. Mon déjeuner fade et froid était tout de même réconfortant.
Bien que ne pas manger ou cuisiner dans sa tente soit la première règle à suivre pour ne pas se faire attaquer par la faune sauvage, cela m’était égal, pourvu que je pusse me protéger des bestioles. Une fois sur la route, j’avais enfin droit au répit. Il était cependant hors de question de m’arrêter. Manger ou aller aux toilettes était des tâches à exécuter aussi rapidement que possible. Pratiquement impossible, donc, de prendre des photos; ma caméra rendit de toute façon l’âme deux jours plus tard.
Une belle journée ensoleillée m’a permis d’arriver tôt au Alexis Hotel, où m’attendait ma nourriture pour les quatre prochains jours, les plus difficiles de la Translabradorienne. Enfin à Port Hope Simpson, je n’en étais qu’au kilomètre 216 de la route. 1 500 kilomètres me séparaient encore de Baie-Comeau, et 2 150 de Kegaska, à l’extrémité est du tronçon principal de la route 138. Je ne saisissais pas encore l’ampleur du défi à venir.
La suite dans l’édition de janvier,
[1] À vélo d’un océan à l’autre, L’Heuristique
[2] Les grandes routes du Nord américain, à vélo, L’Heuristique
Cet article a d’abord été publié en novembre 2016 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].