Depuis 2012, j’ai parcouru environ 48 000 km dans le cadre de différents voyages à vélo au Canada et aux États-Unis. Il va sans dire que, au cours de ces années, j’ai développé une expertise dans la planification de tels voyages. Cela dit, malgré sa longueur de moins de 500 km, l’Expédition Route blanche est certainement celle que j’ai mis le plus de temps à planifier.

Trajets parcourus (en rouge) et Route blanche (en jaune) – Image adaptée de Google My Maps

La Route blanche représente un défi complètement différent des routes que j’ai sillonnées à ce jour. D’abord, il s’agit d’une route temporaire. Celle-ci est faite de neige et de glace. Ensuite, mon partenaire Samuel Lalande-Markon et moi serions vraisemblablement les premiers cyclistes à en fouler la surface.

La Route blanche relie les villages de Kegaska, au bout de la route 138, et de Blanc-Sablon, à la frontière du Labrador. Sur son tracé, elle croise huit villages qui ne sont pas reliés au réseau routier canadien. Parmi ceux-ci, on compte deux communautés amérindiennes, soit La Romaine (Unamen Shipu) et Pakuashipi, ainsi que le village d’Harrington Harbour, rendu célèbre par le film La Grande Séduction (2003).

La Grande Séduction – Image distribuée pour usage médiatique
Planification

Hormis de courtes sections de mes précédents voyages, je n’ai pas l’habitude de rouler autrement que seul. Dans le cadre d’une expédition d’hiver, rouler à deux est cependant un avantage important. En effet, les conditions météorologiques peuvent se détériorer rapidement en Basse-Côte-Nord.

Au mois de février, la température n’y est pas particulièrement froide, soit -12 °C en moyenne. Les vents y sont cependant généralement forts, ce qui peut réduire drastiquement la température ressentie, en plus de provoquer un voile blanc (whiteout). Dans de telles conditions, la seule option est souvent d’installer son campement, en attendant que la tempête s’amenuise.

De tels risques ont été pris en compte dans la planification de l’expédition. Pour chaque tronçon nécessitant plus d’une journée, une journée « perdue » a été prévue afin de pallier le mauvais temps. Cette journée supplémentaire est notamment nécessaire afin de prévoir des réserves suffisantes de nourriture et de carburant.

Route blanche – Image adaptée de Google My Maps

En février, une dizaine d’heures s’écoule entre le lever et le coucher du soleil dans cette région. Conséquemment, nous prévoyons rouler de façon productive jusqu’à 8 h par jour. Nous avons estimé notre vitesse moyenne à 5 km/h, ou 40 km/j. Le plus long tronçon entre deux villages, sur la Route blanche, mesure 100 km et est situé entre La Romaine et Chevery. En définitive, cela signifie qu’une autonomie d’au plus quatre jours doit être prévue pour parcourir la Route blanche à vélo.

Des ravitaillements postaux sont prévus dans six villages de la région. Ces bureaux de poste ont été choisis en raison de leur location, de même que de leurs journées d’ouverture, soit du lundi au vendredi. Ces ravitaillements représentent une contrainte importante puisque, en supposant une arrivée au village un vendredi après 18 h, il faudrait nécessairement attendre le lundi suivant pour récupérer les colis.

Ravitaillement postal – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Sécurité

La Route blanche est avant tout une route dédiée aux motoneigistes, mais la réglementation en vigueur fait exception des cyclistes. En effet, cette route est régie par la Loi sur les véhicules hors route ainsi que par le Règlement sur la motoneige, sans s’y limiter.

Pourtant, la Route blanche n’est pas un sentier aménagé et entretenu par un club d’utilisateurs et d’utilisatrices de véhicules hors route. De surcroît, les bicyclettes ne sont pas des véhicules routiers en vertu du Code de la sécurité routière. De surcroît, les cyclistes ne sont pas des skieurs, des skieuses, des raquetteurs, des raquetteuses, des piétonnes ou des piétons. Conséquemment, il n’apparaît pas que la circulation des cyclistes y soit interdite. Quoi qu’il en soit, la Route blanche a été parcourue dans le passé à l’aide de skis ou de raquettes sans que cela ne soit un problème.

Ski de fond et fatbike, Finlande – Photo par Juho Holmi, Flickr

La sécurité est tout de même une préoccupation importante pour mon partenaire et moi. C’est pourquoi des calculs de distance de visibilité d’arrêt ont été effectués, lesquels ont permis de déterminer des objectifs de visibilité et les mesures permettant leur atteinte. Par exemple, des réflecteurs seront installés sur nos bicyclettes, de même qu’un phare avant et un feu arrière. Toujours afin d’assurer notre sécurité, Samuel et moi porterons un casque, des bottes et des lunettes, comme l’exige la Loi sur les véhicules hors route.

Une analyse de risque en bonne et due forme a été effectuée pour le projet, afin d’identifier les risques critiques. Après la mise en place d’actions d’atténuation, le risque que la température soit anormalement chaude a été identifié comme le plus important pour l’expédition. Il arrive en effet que la route n’ouvre jamais pendant l’hiver, faute de glace. Le cas échéant, l’expédition ne pourrait pas avoir lieu comme prévu.

Tahko Safarit snowmobile trip – Photo de Visit Lakeland, Flickr
Partenariats

J’ai rencontré Samuel en avril 2018 alors qu’il préparait l’Expédition Transtaïga, sur la route du même nom, jusqu’aux rives du réservoir Caniapiscau où il poursuivait son périple en canot vers Kuujjuaq. Je lui avais alors partagé mon expérience de l’année précédente sur la route Transtaïga. Avant cette expédition, il avait déjà traversé le Canada et les États-Unis à vélo, en plus de réaliser des voyages d’alpinisme.

Le projet Expédition Route blanche s’est formé lorsque j’ai naïvement posé la question, sur mon groupe Facebook Bikepacking.qc, à savoir si l’on pouvait parcourir cette route en vélo à pneus surdimensionnés (fatbike). J’ai alors été approché par Panorama Cycles, un fabricant de vélos québécois, pour me fournir le Torngat, leur plus récente bicyclette à cadre d’acier. Doté de pneus de 5″, il était parfaitement adapté à un défi comme la route Blanche.

Torngat – Photo de Panorama Cycles

Au fil de nos discussions, les représentants de Panorama Cycles m’ont informé qu’un autre cycliste était intéressé par la Route blanche. Par un heureux hasard, il s’agissait de Samuel! Grâce à son expérience en recherche de partenaires, nous avons résolu de nous attaquer sérieusement au défi et d’impliquer plusieurs entreprises québécoises.

Grâce aux contacts de Panorama Cycles, nous avons d’abord formé un partenariat avec Arkel, le fabricant de sacoches, de sacs et de porte-bagages pour vélo. Ensuite, nous avons pu ajouter à cette liste : Blivet, fabricant d’accessoires de vélo à pneus surdimensionnés (gants, casques, bottes, etc.); DeNolin, fabricant de vêtements imper-respirants dédiés au cyclisme; et Tel-Loc, spécialisé en téléphonie par satellite. Finalement, l’entreprise californienne The North Face s’est jointe à notre aventure pour nous fournir des vêtements et du matériel de camping, dont une tente d’alpinisme : la VE-25.

La recherche de partenaires se poursuit et d’autres entreprises pourraient s’ajouter à cette liste. Au moment d’écrire ces lignes, un partenariat avec le Centre Père Sablon était en discussion afin de faciliter l’entraînement préalable à l’expédition.

Partenaires d’Expédition Route blanche – Image de Samuel Lalande-Markon
Prologue, épilogue et plan B

Afin d’accéder à la Route blanche, nous prévoyons prendre l’autobus jusqu’à Havre-Saint-Pierre, soit la destination la plus à l’est que l’on puisse rejoindre par ce moyen. De là, nous enfourcherons nos vélos à pneus surdimensionnés jusqu’à Natashquan, puis vers Kegaska, le point de départ de la Route.

De l’autre côté, à Blanc-Sablon, le point d’extraction n’est pas encore déterminé avec exactitude. Si la traversée est plus longue que prévu, il est possible de prendre l’avion vers Montréal, mais cela est très coûteux. Si le projet se déroule bien et que nous arrivons dans les temps, il est prévu de poursuivre l’aventure jusqu’à Deer Lake, à Terre-Neuve, où les billets d’avion vers Montréal sont relativement abordables. Si le service du Bella Desgagnés était maintenu en période hivernale, il serait possible d’emprunter ce bateau vers Havre-Saint-Pierre, avant de prendre l’autobus vers Montréal. Ce n’est cependant pas le cas.

Carte de l’Expédition Route blanche – Image de Félix-Antoine Tremblay

Advenant que la Route blanche ne soit jamais ouverte, cet hiver, un plan B a été préparé. Après avoir pris l’autobus vers Baie-Comeau, nous roulerions jusqu’à Emeril Junction, où le chemin de fer rejoignant Schefferville et la rivière Ashuanipi croisent la route 500. À cet endroit, un sentier de motoneige se dirige vers Esker Siding, à mi-chemin vers la centrale hydroélectrique de Mehinek.

On peut rejoindre la centrale en roulant (lire « en poussant son vélo ») sur les lacs Mehinek. De là, une route de service rejoint Schefferville et la communauté naskapie de Kawawachikamach. Pour revenir à Montréal, il est possible de prendre l’avion ou d’abord le train vers Sept-Îles, puis l’autobus.

Centrale de Mehinek et ligne du Transport ferroviaire Tshiuetin
Photo de Wtshymanski, Wikimedia

Pour plus d’information sur l’Expédition Route blanche :

Page Facebook : fb.me/expeditionrouteblanche
Site web : samuelmarkon.com/route-blanche
Carte interactive : tinyurl.com/RouteBlanche
Document de projet : cutt.ly/RouteBlanche
Contact : info@samuelmarkon.com