De nouveaux sommets, de nouveaux échecs
Le 24 avril a marqué pour moi le début de la saison estivale. J’ai entrepris à ce moment mon premier voyage de vélo de l’année, lequel s’est soldé par un échec, mon deuxième pour une telle aventure[1]. Affaibli par une opération à l’aine en mars dernier et faisant face à de la pluie et de la neige, j’ai dû m’avouer vaincu une fois rendu à l’Étape, au sommet de la #175, dans la Réserve faunique des Laurentides.
Le plan était de quitter Pont-Rouge avec un ami en direction de Métabetchouan-Lac-à-la-Croix, de continuer vers La Baie et de revenir à Pont-Rouge, le tout dans des conditions printanières, voire hivernales. L’expédition devait être faite en cinq jours, soit environ 120 kilomètres par jour : une distance raisonnable selon mon expérience. Ce voyage avait notamment pour but de tester mes capacités par temps froid, tant en ce qui a trait au vélo qu’au camping. La température s’annonçait mauvaise, 10 centimètres de neige étaient tombés la veille à l’Étape et la température oscillait autour de 0 °C.
Le froid
Alors que le Québécois Louis Larose[2] a traversé le Canada en plein hiver il y a deux ans, à une moyenne de plus de 100 kilomètres par jour, on se dirait que 0 °C, ce n’est pas si mal. En effet, c’est la température minimale à laquelle on n’a pas trop à s’inquiéter pour ses réserves d’eau et c’est un avantage énorme. De plus, on peut compter sur une absence d’accumulation au sol (la plupart du temps) et donc de déneigeuses, lesquelles sont extrêmement dangereuses pour les cyclistes. Toutefois, et je salue le courage de M. Larose, 0 °C c’est quand même loin du paradis.
Ça a mal commencé. Nous n’avions dormi que trois heures la veille du départ. Nous avons pris la route au lever du jour en direction de Pont-Rouge. Après plus de deux heures de voiture, nous avons enfin enfourché nos bicyclettes. Rapidement, mon corps a rencontré ses limites et, après seulement 75 kilomètres sous un temps relativement clément, nous avons choisi d’installer notre campement pour la nuit, sur un terrain de camping abandonné pour l’hiver.
D’un optimisme passager, nous comptions rouler 175 kilomètres le lendemain et rattraper le retard. Le soleil nous a fait l’honneur d’accompagner notre réveil, mais sa présence fut de courte durée. Quelques minutes à peine après avoir quitté le campement, la neige a commencé à tomber, nous étions au pied de la côte vers l’Étape. Ça a marqué la fin de mon optimisme passager. Une fois à la Mare-du-Sault, à 20 kilomètres de l’Étape, le vent s’est également mis de la partie, et pas dans la bonne direction.
Sans jamais regarder l’heure, j’ai attendu d’arriver à l’Étape pour dîner et ce fut une erreur. Je suis arrivé à destination, à 15 h. J’avais mis cinq heures à franchir 50 kilomètres, j’étais affamé, il nous restait 120 kilomètres à faire.
Deuxième abandon
Après une heure à réfléchir avec mon ami, la tête au-dessus de l’assiette de mon club sandwich, j’ai fait le choix difficile d’abandonner, ce qu’il a accepté. Nous avons rebroussé chemin et le soleil a refait surface. J’ignore si c’était dû au vent et à la pente favorables, mais nous roulions à 30 km/h sans problème. J’ai immédiatement regretté mon choix. Ce soir-là, nous avons campé sous les lignes d’Hydro-Québec, dans environ un mètre de neige. J’ai eu un plaisir surprenant, dans les circonstances, à installer la tente.
Il a neigé pendant la nuit, au matin il y avait environ 5 centimètres de neige en plus. Nous avons marché dans nos traces de la veille jusqu’à la route. Ensuite, il s’est mis à pleuvoir, mais en l’espace de six heures, nous étions de retour à Pont-Rouge. Nous avons ensuite profité des deux jours restants pour passer voir ma famille au Saguenay et marcher un peu, ça fait changement du vélo. Je ne regrettais plus d’avoir rebroussé chemin.
Je ne l’avais pas réalisé lors de ce voyage, mais j’ai découvert, à ce moment, que la satisfaction pouvait provenir d’ailleurs que de la souffrance (sportivement parlant).
Toujours plus haut
Après mon échec printanier, j’ai grandement remis en question mes prochains voyages à vélo[1], mais je refusais de m’avouer vaincu par un simple col de deuxième catégorie[3]. J’ai d’abord planifié refaire exactement le même voyage, afin de consoler mon ego. J’ai ensuite rationalisé cette décision en déterminant que mon abandon était dû à des paramètres hors de mon contrôle. Alors qu’un être raisonnable aurait compris ses limites et s’y serait tenu, j’ai plutôt fait le choix absurde d’aller de l’avant avec une de mes idées de voyage : aller au Colorado.
Le 18 juillet dernier, je suis donc monté à bord d’un autobus pour le voyage de deux jours et demi qui m’amènerait à Denver. Une fois à destination, j’ai profité de la voiture d’une amie qui voyageait avec moi afin de me rendre à Boulder : mon lieu de départ. Seulement 7 kilomètres après avoir pris la route, j’avais déjà une idée de l’erreur que j’avais faite en me lançant dans ce projet, à 3 000 kilomètres de chez moi. Je faisais face à un mur de 100 mètres, à une pente de 12 % : un col de troisième catégorie3; un Mont-Royal, mais après deux jours et demi d’autobus, aussi bien-dire l’Everest. J’ai quand même atteint le sommet sur mon vélo, évitant de justesse quelques crises cardiaques.
Seulement 30 kilomètres séparent Boulder de Lyons et le reste était tout en descente : une formalité. Je savais toutefois que le lendemain serait mon premier réel défi, un col de première catégorie dont le sommet était à 2 450 mètres, 300 mètres plus hauts que mon ancienne marque. La montée s’est bien déroulée, la descente aussi, j’étais confiant. Cependant, la véritable difficulté résidait dans les 60 kilomètres suivants.
Troisième abandon
Entre Loveland et Kelly Flats se cachait un col de deuxième catégorie qui m’avait échappé lors de ma planification. Par une température de près de 35 °C, j’ai mis des heures à atteindre le sommet, lequel ne semblait jamais venir. Vers 19 h, alors que je peinais à avancer, un vieil homme s’est arrêté au bord de la route et m’a offert de me transporter jusqu’à Kelly Flats, ce que j’ai accepté à contrecœur. Je n’étais qu’à 15 kilomètres de l’arrivée, je me le pardonne difficilement.
Je n’ai pas eu le temps de me pencher sur ma contre-performance, le lendemain, je devais monter le col Cameron, à 3 130 mètres. Le sommet était à 50 kilomètres de Kelly Flats, un col de première catégorie m’en séparait. Mes jambes étaient encore endolories de la veille et la douleur n’a que continué d’augmenter, mon aine commençait aussi à me rappeler mon opération d’il y a quelques mois.
J’ai mis près de quatre heures à franchir la distance, une fois au sommet, mon amie m’attendait. Dans un élan de désespoir et de colère contre moi-même, j’ai choisi la facilité et nous avons pris sa voiture jusqu’à Walden. Je le regrette amèrement. Les 50 kilomètres restants étaient tout en descente et offraient un paysage superbe.
Retour en force [bis][1]
Le lendemain, je devais pédaler jusqu’au réservoir Green Mountain, 20 kilomètres au sud de Kremmling : 120 kilomètres dans le désert à plus de 2 200 mètres d’altitude. Dès le départ, j’ai compris que l’absence de col notable ne signifiait pas que cette journée serait facile. Je devais combattre un puissant vent de face et une température avoisinant les 40 °C. Malgré une portion de 10 kilomètres de route non pavée en raison de travaux, la journée s’est bien déroulée : un peu d’espoir. Mon corps commençait probablement à s’acclimater à l’altitude.
Du réservoir Green Mountain, je devais ensuite me rendre jusqu’à Empire, de l’autre côté du col Loveland, un col de première catégorie de 3 655 mètres. Cependant, son sommet étant situé bien au-delà de la ligne des arbres, j’ai dû m’arrêter au pied du col en raison d’orages. Le jour suivant, j’ai profité du beau temps et de la température moins élevée pour retrouver un peu de plaisir à pédaler. Une fois au sommet, je me suis surpris à être ému, sachant que quelques jours auparavant, mes pensées les plus pessimistes me voyaient mettre fin immédiatement à mon voyage. La descente vers Georgetown le long de la Continental Divide Trail (piste cyclable en forêt) était des plus amusantes avec une moyenne de près de 50 km/h. J’ai ensuite roulé jusqu’à Empire où j’attendais mon amie pour me rendre en voiture au camping Timber Creek, au pied du col Milner, sur la route Trail Ridge.
Après une journée de congé dont j’ai profité pour marcher un peu en forêt, j’étais physiquement et mentalement prêt à affronter la plus haute route pavée continue en Amérique du Nord, à 3 715 mètres, un autre col de première catégorie. J’ai quitté le campement dès le lever du jour et j’étais au sommet vers 11 h, juste au moment où les orages d’après-midi commençaient à se former. J’étais euphorique au moment d’entreprendre la descente, je venais de réaliser un défi que je m’étais lancé des années plus tôt et que je croyais jusqu’ici impossible. Malgré un trafic automobile passablement élevé, j’ai profité au mieux de la descente de 30 kilomètres, ma vitesse me permettant même de dépasser quelques véhicules.
Le surlendemain, j’étais au pied du Mont Evans, culminant à 4 350 mètres. Seul un col de première catégorie me séparait du sommet. La route était fermée aux véhicules en raison de travaux, mais était ouverte aux vélos exceptionnellement cette journée. Il faisait soleil et la température au sommet était de 5 °C. Comme cette route n’est pas continue, je pouvais laisser mes bagages au campement, soit environ 25 kg de moins à transporter. Tout était donc aligné pour un succès. En trois heures à peine, j’étais au sommet de la plus haute route pavée en Amérique du Nord, son 41e plus haut sommet.
Accepter la défaite
Je l’ai appris cette année, il y a du réconfort dans l’acceptation de la défaite. J’ai toujours cru que le seul moyen pour atteindre la satisfaction était d’atteindre intégralement ses objectifs, or il semble que l’être humain a tendance à se fixer des objectifs toujours plus grands, voire irréalisables. Je n’ai jamais eu la prétention d’être particulièrement « en forme » et cela n’a pas changé. Par contre, j’ai longtemps été convaincu qu’en ce qui a trait au sport, tout était possible à qui le veut « vraiment ». Ce n’est pas le cas.
Il n’est pas donné à tout le monde de rouler dans le peloton du Tour de France, encore moins d’aspirer à le remporter. Pour ce faire, il faut des sacrifices que je ne suis pas prêt à faire. Mon sport, le cyclotourisme, est aussi l’art du voyage et j’ai découvert qu’on peut apprécier un voyage sportif autant en dépassant ses limites qu’en les acceptant. Bien que j’aie toujours des regrets par rapport à certains de mes « abandons », je n’ai désormais plus de regrets d’avoir abandonné.
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[1] Vélocipède, Félix-Antoine Tremblay, L’Heuristique
[2] 5 280 kilomètres à vélo en 50 jours, Mylène Moisan, Le Soleil
[3] Le pointage d’un col est calculé en multipliant « un » plus le carré de la pente (en pourcentage) avec la longueur du col (en kilomètres). Les différentes catégories sont : non classé (0 à 34 points), quatrième catégorie (35 à 79 points), troisième catégorie (80 à 179 points), deuxième catégorie (180 à 249 points), première catégorie (250 à 599 points) et hors catégorie (plus de 600 points).
Cet article a d’abord été publié en septembre 2015 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].