À vélo d’un océan à l’autre
Pour les cyclotouristes canadien(ne)s, la traversée du Canada (de Vancouver à St John’s) est un rite de passage. Hormis les Rocheuses, il s’agit d’un pays relativement plat et sa traversée est plutôt simple : prendre la route Transcanadienne d’un bout à l’autre. Le défi de sa traversée est purement une question d’endurance, physique, évidemment, mais surtout mentale. Bien que le record de la traversée la plus courte ait été établi à 22,75 jours en 20111, au rythme incroyable de 300 kilomètres par jour, il est généralement admis qu’il en prend de 50 à 100 jours. La distance minimale séparant Vancouver et St John’s, sur route, est de 7 000 kilomètres.
Mon trajet sera cependant presque deux fois plus long à cause de plusieurs détours, mais surtout parce qu’il se poursuivra jusqu’à la fin de la route n° 138, à Kegaska, près de Natashquan. Ce premier détour est l’île de Vancouver.
I – Île de Vancouver
Lors de mes précédents voyages, j’ai parcouru toutes les routes sortant de Vancouver vers l’est, soit la Sea to Sky Highway (#99) en 2011 et 2012 ainsi que la Coquihalla Highway (#5), la Crowsnest Highway (#3) et la route Transcanadienne (#1) en 2013. Le seul moyen restant de sortir de la ville est par l’ouest, soit vers Victoria. Cela tombe bien, puisque le « Mile 0 » de la route Transcanadienne s’y trouve. La tradition veut d’ailleurs que les cyclistes trempent les roues de leur monture dans l’océan Pacifique à cet endroit. Il en va de même pour l’océan Atlantique, près du « Mile One »2, une fois la traversée complétée.
Pour atteindre le marqueur « 0 », depuis Vancouver, il faut prendre le traversier de Tsawwassen à Swartz Bay, une traversée d’environ 1 h 30, et pédaler un peu moins d’une centaine de kilomètres dans les banlieues de de Vancouver et Victoria. Depuis la capitale de la Colombie-Britannique, la Island Highway (#1 et #19) s’étire sur 500 kilomètres jusqu’à Port Hardy, à la pointe nord de l’île.
Dès la sortie de Victoria, la route grimpe sur les flancs du Mont Jeffrey pour atteindre le sommet Malahat à 350 mètres d’altitude. On peut y observer le bras de mer Saanich et, par beau temps, le Mont Baker, dans l’état de Washington, 130 kilomètres plus à l’est. Son tracé suit ensuite la côte est de l’île jusqu’à Campbell River, où elle bifurque vers les montagnes, s’éloignant enfin des zones plus populeuses avant de retrouver la côte à Port McNeill.
II – Colombie-Britannique
Une fois à la petite ville portuaire de Port Hardy, un autre traversier fait le lien vers Prince Rupert, le terminal de la branche nord-ouest de la route Transcanadienne, nommée localement la Yellowhead Highway (#16). Ce traversier met 22 heures pour effectuer l’imposante traversée de plus de 500 kilomètres et ne passe qu’une fois par semaine au printemps.
Le traversier emprunte le Inside Passage, une série de fjords étroits offrant de nombreux points de vue privilégiés, lesquels permettent d’apprécier le contraste entre l’Océan, la forêt et les sommets enneigés de la côte. La faune y est abondante et on peut y observer plusieurs mammifères marins, dont des épaulards. Ce passage est en fait le trajet emprunté par les croisières reliant la Colombie-Britannique à l’Alaska. Le traversier est cependant beaucoup moins luxueux, notamment pour les passagères et passagers n’ayant pas les moyens de s’offrir une cabine à bord.
Arrivé à Prince Rupert, l’aventure débute vraiment. Cette deuxième section du voyage sera parmi les plus ardues. En effet, la pluie est abondante dans les montagnes côtières et, au début du mois de mai, les températures oscillent généralement entre 0 et 10 degrés Celsius. De surcroît, il s’agit de la section la plus en altitude de la traversée, la route atteignant 1 131 mètres au Yellowhead Pass, tout juste avant d’atteindre Jasper. Cette section est également celle où les ours sont les plus présents, notamment les grizzlis. Ceux-ci devraient d’ailleurs être affamés, puisqu’ils sortiront tout juste de leur hibernation.
Le paysage compense toutefois largement la difficulté accrue. Après avoir quitté Prince Rupert, la route suit la majestueuse rivière Skeena sur plus de 200 kilomètres jusqu’à Hazelton, puis la rivière Buckley jusqu’au plateau Intérieur. Deux jours plus loin, la #16 rencontre le fleuve Fraser à Prince George, la « capitale nordique » de la Colombie-Britannique. C’est à cet endroit que le fleuve bifurque vers le sud en direction de sa source, laquelle se trouve 40 kilomètres au sud du col Tête-Jaune. Pour y arriver, le cours d’eau croise, entre autres, le mont Robson, la plus haute montagne des Rocheuses canadiennes, ainsi que le lac Moose, un lac turquoise d’environ 14 kilomètres carrés.
III – Provinces des prairies
À peine une journée à l’ouest de Jasper, les montagnes laissent place à la forêt boréale et, progressivement, aux champs interminables des prairies. La Yellowhead Highway se poursuit jusqu’à Winnipeg, mais j’effectuerai plutôt un détour par des routes secondaires jusqu’à Prince Albert, depuis Lloydminster, pour y revoir un couple d’ami(e)s.
Après ce petit détour, je regagnerai la route #16, près de Wynyard, en direction de Winnipeg, l’endroit où les deux branches ouest de la route Transcanadienne se rejoignent pour ne former que la route #1. Cette jonction marque également la fin des prairies, et le retour dans la forêt boréale, pour la quatrième section de ce voyage.
Les vents dominants soufflent vers l’est et cette section particulièrement plate devrait me permettre de franchir de grandes distances rapidement. Les praires sont toutefois le théâtre d’épisodes de grêle et d’orages violents. Ces événements météorologiques sont problématiques pour les cyclistes, puisque les abris sont rares dans les prairies.
IV – Ontario et ouest du Québec
Cinq jours à l’est de Winnipeg se trouve Thunder Bay, la première ville digne de ce nom pour cette section, mais aussi la dernière avant Rouyn-Noranda. Les rares agglomérations de la région sont le résultat de l’exploitation minière et forestière. Les attraits touristiques y sont rares et celles-ci sont parfois espacées de centaines de kilomètres.
L’Ontario est la province la plus longue à traverser, soit plus de deux semaines. Elle est également réputée la plus difficile, mentalement. On dit que son paysage est douloureusement répétitif : des arbres, d’autres arbres, et encore des arbres.
Cela ne se règle toutefois pas une fois la frontière québécoise traversée. De Rouyn-Noranda, il faut encore mettre cinq jours en forêt pour atteindre Montréal. Heureusement, dès Mont-Laurier, il est possible d’emprunter le parc linéaire du P’tit train du Nord jusqu’à Saint-Jérôme, une piste cyclable en site propre croisant de nombreux villages et petites villes. Celle-ci a toutefois été l’objet de nombreux glissements de terrain dans les dernières années et son état est donc incertain.
V – Sud du Québec
Une fois à Montréal, dépendamment du bilan de la première phase de la traversée, je devrais être en mesure de profiter de quelques jours de vacances, notamment pour effectuer l’entretien de ma bicyclette, mais aussi pour penser mes plaies. Cet arrêt sera cependant de courte durée et je devrai repartir vers les provinces de l’Atlantique.
Le mauvais état actuel de la route des Navigateurs (#132) commande d’emprunter le chemin du Roy (#138) jusqu’à Québec, avant de traverser sur la rive-sud pour éviter les montagnes de Charlevoix. Ensuite, la route longe le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Sainte-Flavie, où se rencontrent les deux branches de la route #132.
La branche sud traverse les Appalaches dans la vallée de la Matapédia, soit le lien le plus bas entre les versants nord et sud de la péninsule gaspésienne. La route s’élève de seulement 250 mètres vers le lac Matapédia, puis redescend lentement vers Campbellton, à l’estuaire de la rivière Ristigouche.
VI – Provinces de l’Atlantique
Le début de cette sixième section sera des plus agréables. La côte du Golfe du Saint-Laurent est relativement plate et bordée d’innombrables plages. De plus, la péninsule acadienne est réputée un paradis pour les cyclotouristes. J’en profiterai donc pour visiter, entre autres, Caraquet et Tracadie-Sheila.
Suite à un court passage par l’Île-du-Prince-Édouard, je ferai un dernier détour par le Cap-Breton et sa Cabot Trail avant de rejoindre Sydney pour y prendre un autre traversier. Moins long que le traversier de Port Hardy vers Prince Rupert, le traversier de Sydney à Argentia nécessite tout de même 16 heures pour effectuer la traversée de 550 kilomètres, dans l’océan Atlantique.
Une fois à Argentia, la St Mary’s Bay Highway (#90) et la Southern Shore Highway (#10) font le tour de la portion sud de la péninsule d’Avalon, la région la plus populeuse de l’île de Terre-Neuve. Cette presqu’île est reliée au reste de l’île par un isthme d’à peine cinq kilomètres de largeur, où passe la route Transcanadienne. À St John’s, deux sentiers pédestres sont des passages obligés : le Cap d’Espoir, le point le plus à l’est de l’Amérique du Nord; et Torbay Point, un cap rocheux s’avançant près de 500 mètres dans l’Océan.
En plus de la route Transcanadienne, l’île de Terre-Neuve est traversée par un ancien chemin de fer, converti en sentier multifonctionnel : le Newfoundland T’Railway. À 400 kilomètres au nord de St John’s, les deux routes se séparent, entre Badger et Deer Lake. Cette section traverse le plateau central de Terre-Neuve, une zone aride, rocailleuse et constamment balayée par le vent. On peut y observer les Topsails, des drumlins s’élevant plusieurs dizaines de mètres au-dessus du plateau. La qualité de la piste est cependant très mauvaise et se prête plus à l’utilisation d’un vélo de montagne.
Deer Lake marque le début de la Great Northern Peninsula Highway (#430) et l’entrée dans le parc national du Gros-Morne, où l’on peut observer de nombreuses vallées glaciaires surplombées de sommets atteignant 800 mètres. Après le parc, la route se prolonge vers le nord vers le nord jusqu’à St Anthony, un peu au sud de L’Anse aux Meadows.
L’Anse aux Meadows est un site historique mondialement reconnu où l’on a retrouvé des traces d’un campement viking datant de l’an 1000, de même que de cultures remontant à 3000 ans avant Jésus Christ. Ma route devrait cependant s’arrêter à St Barbe, puisque c’est là où se trouve le traversier vers Blanc-Sablon, une traversée de 1 h 45.
VII – Nord du Québec
Mon retour au Québec sera de courte durée, puisque la route #138 n’a jamais été complétée et que le seul lien, en été, entre Blanc Sablon et le reste du Québec passe par le Labrador, dont la frontière se trouve à seulement cinq kilomètres du quai. La Trans-Labrador Highway (#500 et #510) a été complétée en 2009 et consiste en un système de routes de gravier reliant, entre autres, Blanc Sablon à Red Bay, puis Happy Valley, Churchill Falls et Labrador City, où elle rejoint la route des Grands Barrages (#389). Cette route se termine à Baie-Comeau, croisant sur son chemin les barrages de la rivière Manicouagan, dont le plus connu : le barrage Daniel-Johnson (centrale Manic-5).
Au total, cette section isolée mesure environ 1 700 kilomètres. Soit approximativement la distance entre Vancouver et Regina, ou deux semaines à vélo. Il s’agira certainement de la section la plus exigeante du voyage.
Après un repos bien mérité à Baie-Comeau, il ne restera qu’à prendre la route des Baleines (#138) jusqu’à Kegaska, au bout du chemin, puis ce sera enfin terminé! Cette dernière section ne sera pas pour autant ennuyante, puisque la route suit le fleuve sur toute sa longueur et croise notamment le parc national de l’Archipel-de-Mingan, un chapelet d’îles calcaires où la faune marine est abondante.
Si tout se passe comme prévu, je serai de retour juste à temps pour le début de la session d’automne.
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Bon été!
1 Cross-Canada fundraisers hit the road – National Post
2 Le « Mile One Center » est un aréna situé à St John’s. Ce lieu est considéré la fin de la route transcanadienne.
Cet article a d’abord été publié en mai 2016 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].