À la découverte du Labrador
Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais la première partie d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne[1], une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.
Après seulement deux jours sur la route Translabradorienne, je commençais à comprendre que la difficulté de cette route ne reposait pas sur sa longueur, ni sur le fait qu’elle n’est que partiellement pavée, mais bien sur son isolement. En effet, en quittant Port Hope Simpson, un village de quelques dizaines d’habitant(e)s, je savais que je ne verrais presque personne pendant quatre jours. En période estivale, il passe seulement une cinquantaine de véhicules par jour sur cette route.
Heureusement, il ne s’agissait pas de la première fois où je faisais un voyage du genre. En 2014, avant d’entreprendre ma traversée du Québec, j’ai pu profiter d’un congé de quatre jours pendant mon stage pour redécouvrir la ZEC Batiscan Neilson. C’est à cet endroit que j’ai vécu mes premières expériences de vélo-camping, il y a plus d’une décennie. Armé d’une carte achetée à cette époque ainsi que d’une boussole, j’ai effectué l’aller-retour entre le poste d’accueil Perthuis et le lac Batiscan : un lac long et étroit bordé de falaises atteignant plus de 100 mètres par endroit.
Lors de cette première aventure, mon principal défi avait été de m’orienter correctement, en pleine forêt, alors que plusieurs des routes que je souhaitais emprunter n’existaient que dans ma mémoire, ma carte étant imprécise et désormais désuète. Au Labrador, cela ne serait pas un problème. Le trajet était assez simple : tourner à droite au kilomètre 606 vers Happy Valley-Goose Bay, puis revenir sur mes pas et suivre la route principale jusqu’à Baie-Comeau. Quoi qu’il en soit, je transportais cette fois un GPS et un panneau solaire pour le recharger.
Cette fois-ci, je ne pouvais cependant pas profiter d’une température clémente et la saison des mouches noires battait son plein. En effet, le soir de mon arrivée à Port Hope Simpson, j’ai à peine eu le temps de consulter les prévisions météorologiques des prochains jours avant que des orages causent la perte de la réception satellite de l’hôtel. On annonçait de la pluie pour au moins une semaine.
Faute de télévision et d’Internet, je comptais pour le moins profiter d’un bon bain chaud, un plaisir que je m’accorde rarement. Malheureusement pour moi, la baignoire n’avait pas de bouchon. Pire, la température de l’eau de la douche variait de façon si forte et subite que cette douche était plus douloureuse que salvatrice. J’ai dû me contenter de lire un des livres que je transportais, allongé dans mon lit simple, en écoutant le tumulte de mes voisines et voisins. Plus tard en soirée, j’ai tout de même pu profiter du restaurant de l’hôtel pour manger un dernier repas sans avoir à me rationner : un hamburger, un club sandwich et deux pizzas, le tout avec une généreuse portion de frites. Ce repas riche en calories me propulserait certainement pour plusieurs jours.
Le grand départ
Après avoir dormi quelques heures, tiré profit du petit déjeuner continental fourni avec la chambre, et fait des réserves de fruits frais ainsi que d’eau potable, j’ai enfilé pour la première fois mon habit de moustiquaire. Pour mes deux premières journées au Labrador, je m’étais contenté de mon moustiquaire facial, mais les dizaines de morsures et de piqûres que portaient mes bras et mon cou m’ont confirmé que cela n’était pas suffisant.
Après avoir traversé le pont de la rivière Alexis, j’ai été agréablement surpris par la bonne qualité de la route, mais cela n’a pas duré. Après la jonction vers Charlottetown, la route devient plus étroite et est couverte de petites pierres lâches. En plus de cette détérioration, le paysage devient de plus en plus monotone, alors qu’on s’éloigne de la côte du Labrador. La route ayant été construite pour des raisons exclusivement utilitaires, elle évite autant que possible les lacs, les rivières, les montagnes, etc. En somme, tous les points d’intérêt.
Vers midi, la pluie s’est mise de la partie, ce qui représentait un défi de taille dans les circonstances. En effet, je ne pouvais pas mettre mes vêtements de pluie sans retirer mon habit de moustiquaire, un exercice que j’allais devoir répéter à plusieurs reprises en raison de la température changeante. Dès lors, j’étais obsédé par une idée : abandonner. J’étais à ce point découragé que j’ai pris quelques instants de repos pour me filmer alors que j’étais couvert de bestioles (coeurs sensibles, s’abstenir : youtu.be/E9ZBkC1eJsE).
À bout de nerfs, après une dizaine d’heures en selle à compter chaque kilomètre, je voyais enfin un peu de lumière au bout du tunnel : un panneau de signalisation en direction de Cartwright. Dans quelques dizaines de minutes, je pourrais enfin me réfugier dans ma tente et lire un livre. Bien que je ne sois pas un grand lecteur, ce petit plaisir était à ce moment le plus grand des cadeaux : un instant de répit, où mon esprit pourrait se retrouver à des milliers de kilomètres de cet enfer.
J’aurais pu poser ma tente n’importe où, à n’importe quel moment de la journée, mais je m’étais fixé un objectif strict de rouler au moins 100 kilomètres par jour, afin d’atteindre mon point de ravitaillement en au plus quatre jours. Pour cette première journée, je devais au moins atteindre le kilomètre 319, à la jonction de la route #516. Une fois arrivé, j’ai été surpris de voir un panneau annonçant ma nouvelle destination : une halte routière, à deux kilomètres de là. Cette halte promettait un espace sec et dégagé, me permettant d’installer confortablement ma tente.
Je m’étais préparé afin de ne dépendre de rien tout au long de la route, mais une bonne nouvelle est toujours bienvenue. Avant mon départ, il m’avait été impossible de trouver quelque information que ce soit sur les « services » se trouvant le long de cette route. Je m’étais donc donné pour mandat de tous les prendre en note, afin de faciliter la planification des prochains cyclistes souhaitant conquérir la route Translabradorienne. J’ai intégré mes notes aux pages Wikipédia des routes #389, #500 et #510[2].
Tout n’était cependant pas gagné, cette fameuse halte routière n’était en fait qu’un stationnement en gravier équipé d’une poubelle et d’une table à pique-nique. Les abords de l’aire de repos avaient des airs de toilettes à ciel ouvert, et la poubelle n’avait vraisemblablement pas été vidée depuis des lustres, mais je n’avais d’autre choix que de m’en contenter. Après avoir trouvé un endroit où le sol était suffisamment lâche et propre pour y planter ma tente, j’ai entrepris de préparer mon repas. La forte pluie avait pour avantage de réduire la quantité d’insectes m’entourant.
À mon grand désarroi, une fois le repas terminé, j’ai découvert que ceux-ci s’étaient réfugiés sous le double toit de ma tente. Lorsque j’y suis entré, bien que j’aie porté une attention particulière à le faire rapidement, plus d’une centaine d’entre eux avaient réussi à se faufiler à l’intérieur. Il m’a fallu plus de 10 minutes pour les tuer (presque) tous. Quoi qu’il en soit, cette première de quatre journées était terminée. Avec le sentiment du devoir accompli, je pouvais enfin retrouver le confort relatif de ma tente, protégé du froid, de la pluie et des bestioles.
J’étais désormais à la porte du plateau Eagle, le plus difficile était derrière moi, mais je l’ignorais pour le moment. La suite dans l’édition de mars, si les décisions de censurer et de dissoudre L’Heuristique sont renversées par l’AÉÉTS[3].
[1] Le début d’une grande aventure, L’Heuristique
[2] Répertoire des services en fonction des repères kilométriques : pastebin.com/YVRrU8p4
[3] L’Association étudiante de l’ÉTS a récemment entrepris des démarches visant à fermer L’Heuristique : bit.ly/2kxtp3R
Cet article a d’abord été publié en janvier 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].