La Dernière Frontière
Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais le second article d’une série sur mon plus récent voyage à vélo vers l’océan Arctique. Cet article y fait suite.
Froid glacial
Vers 22 heures, après avoir passé la journée dans mon abri, je suis sorti pour aller chercher de l’eau liquide dans un ruisseau que j’avais localisé la veille. Heureusement, malgré la baisse de température, celui-ci n’était toujours pas gelé. En levant les yeux vers le ciel, j’ai remarqué que les nuages s’étaient un peu dissipés. Je suis retourné dans ma tente et j’ai réglé mon cadran toutes les deux heures, pour la nuit. À quelques jours du solstice d’été, le soleil ne se couche jamais sur la North Slope.
À 4 heures du matin, le ciel était maintenant dégagé près du col Atigun, mais il neigeait toujours plus au nord. Sans pouvoir obtenir de mise à jour sur les prévisions météorologiques, je devais tenter ma chance. Il faisait -4°C et la route était glacée. Heureusement, puisqu’elle est en gravier, mes pneus d’été seraient tout de même en mesure d’adhérer à la surface. Par ailleurs, la glace avait pour avantage de me protéger contre la boue traitée au chlorure de calcium (CaCl2), laquelle m’avait posé problème quelques jours auparavant.
Je me suis habillé aussi chaudement que possible avant de partir. Les seuls vêtements que je ne voulais pas porter étaient malheureusement les plus chauds, soit ceux que je portais lorsque je n’étais pas sur mon vélo. Je ne pouvais pas me permettre de les mouiller, puisque je serais alors à la merci du mauvais temps, advenant que je doive m’arrêter pour quelque raison que ce soit, par exemple un bris mécanique.
Le froid me poserait notamment problème au niveau des pieds, alors que mes souliers à semelle de carbone sont serrés et bien ventilés. Ceux-ci limitent les mouvements et m’empêchent de porter plusieurs paires de bas. Tout au long de la journée, je devrais faire l’effort de remuer constamment mes orteils.
Route Dalton
En gardant mon eau près de moi durant la nuit, j’ai pu la conserver au-delà du point de congélation. Je n’ai donc pas eu de difficulté à cuisiner mon déjeuner : du gruau et un café. Un peu après 5 heures, j’ai finalement quitté mon refuge et j’ai repris la route vers l’océan Arctique. Après un départ hésitant, j’ai été surpris de constater que je maintenais un bon rythme. Après quelques dizaines de minutes, j’ai toutefois eu le déplaisir de découvrir que le tube de mon sac d’hydratation (communément appelé Camelbak) était glacé.
Avec les vibrations, l’eau de mes gourdes demeurait cependant partiellement liquide. Bien que l’idée de transporter 3 kg d’eau imbuvable sur mon dos ne me plaisait guère, j’étais rassuré de savoir que je pourrais au moins consommer l’eau qui se trouvait dans mes bouteilles.
J’ai atteint le lac Galbraith vers 8 heures. Ici, je quittais les montagnes pour pénétrer dans les plaines de l’Arctique. La température avoisinait désormais 0°C et le soleil commençait à percer le couvert nuageux. Cette combinaison signifiait aussi que la surface glacée fondait. Comme près de la rivière Yukon, mon vélo devait à nouveau faire face à la boue. Heureusement, sa consistance était suffisamment liquide pour empêcher son accumulation sur ma transmission. Il n’a tout de même fallu que quelques kilomètres avant que je sois incapable de changer de vitesse. À chaque côte, ma chaîne menaçait de se coincer, m’immobilisant sur-le-champ. Heureusement, chaque fois, j’ai réussi à la décoincer en rétropédalant, ou à poser un pied au sol avant de chuter.
Approximativement 85 kilomètres après mon départ, près de la rivière Sag, à un peu moins de 500 m d’altitude, la neige a enfin laissé place à la toundra. J’en ai profité pour prendre une pause et dîner. Au menu, thé et ragoût de bœuf, un délice dans cette région inhospitalière. Le pire semblait derrière moi. Pour le moins, en l’absence de neige, la route était désormais relativement sèche.
En définitive, j’ai parcouru 165 kilomètres en cette journée difficile. Ne sachant pas ce que la météo me réservait, je ne pouvais pas me permettre de chômer. Ce faisant, je réduisais le nombre de nuits que je devrais encore passer ici à une seule. En effet, à moins d’un problème, je devais être en mesure de parcourir les 110 kilomètres restants le lendemain.
Malgré un vent du nord et des averses de neige fondante, j’ai finalement atteint le bout de la route (70° 13′ 14″ N) comme prévu, un peu avant 16 heures. À cet endroit, il est impossible de se rendre à l’Océan Arctique à vélo. Les berges appartiennent à une compagnie pétrolière et on ne peut pénétrer leur territoire qu’à bord de la navette touristique, au coût de 69 USD.
Je devais immédiatement faire de l’auto-stop en direction de Fairbanks, puisqu’il est illégal de camper à Deadhorse, en raison de la présence d’ours polaires. Juste avant mon arrivée, j’ai heureusement croisé une famille de touristes venue de Fairbanks et arrêtée au bord de la route. Ils et elles roulaient en direction sud et acceptaient de me transporter jusqu’en ville.
Nous nous sommes rejoints à la station-service du village et, après avoir attaché mon vélo au toit de leur véhicule, nous avons pris la route. Nous avons passé la nuit au village de Wiseman, là où la conductrice était née. Le lendemain, la pluie avait repris. Il nous a fallu 10 heures pour atteindre Fairbanks. Sur le chemin du retour, le temps me semblait ironiquement plus long, et les côtes plus pentues. Effectivement, à vélo, sur une route de terre, on a tendance à regarder directement au sol plutôt que devant soi. La perspective est donc fort différente de celle qu’on peut avoir à bord d’une voiture.
Je suis arrivé tout juste avant la fermeture de l’épicerie. J’ai fait le plein de vivres et je suis retourné chez mon hôtesse Couchsurfing. Elle travaillait le lendemain à 8 heures et nous avons donc coupé court aux discussions. Le retour à la « réalité » urbaine était choquant. Je ne me sentais pas à ma place. Je devrais cependant repartir bientôt. L’aventure était loin d’être finie.
Top of the World Highway
Je me donnais trois jours pour reprendre des forces et réparer mon vélo. Malgré son piteux état, j’ai pu me contenter d’effectuer les réparations que j’avais prévues dix jours auparavant, et pour lesquelles j’avais commandé les pièces. J’ai profité des deux autres journées pour visiter les sources chaudes de Chena et la plage du lac Cushman.
La Top of the World Highway relie Jack Wade Junction, en Alaska, et Dawson City, au Yukon. À l’ouest, on trouve Chicken, Tok et Delta Junction, mes destinations pour les trois jours suivants. De Fairbanks à Tok, la route est anormalement plate pour la région, avec un dénivelé d’à peine 1 100 m sur 325 kilomètres. La situation change toutefois drastiquement de Tok à Dawson City, où le dénivelé est de 4 500 m sur 300 kilomètres.
Entre Chicken et Dawson City, la route n’est pas pavée et elle suit principalement la crête des hautes terres du Yukon-Tanana, d’où elle tire son nom de « Route du sommet du monde ». Elle est généralement située au-dessus de la ligne des arbres. Sur toute sa longueur, il est impossible d’y trouver de l’eau, en été. Près de Chicken, il est par ailleurs déconseillé de boire l’eau des rivières en raison des exploitations minières. Les douanier(e)s du poste frontalier de Little Gold offrent néanmoins de l’eau potable aux cyclistes.
Route Dempster
Puisque j’étais à nouveau hébergé chez une hôtesse du site Couchsurfing à Dawson City, j’aurais pu m’arrêter encore une fois pour me reposer. Cela dit, ma priorité était de consulter les prévisions météorologiques des prochains jours. J’avais dû faire face à des orages sur la Top of the World Highway, lesquels avaient à nouveau mis ma monture à mal. La route Dempster relie Inuvik, aux Territoires du Nord-Ouest (TN-O), et Dempster Corner, au Yukon, 40 kilomètres à l’est de Dawson City. La route n’est pas pavée et est également traitée au CaCl2.
Les nouvelles étaient plutôt mauvaises. On annonçait de la pluie et du vent pour les prochains jours. Cela dit, à moyen terme, une fenêtre de beau temps s’annonçait plus au nord. Si je me déplaçais suffisamment rapidement, je serais en mesure d’en profiter là où j’en aurais le plus besoin, au nord du cercle polaire arctique, où les arbres sont rares et chétifs.
J’ai donc résolu de quitter la ville sans plus attendre. Avant de le faire, je tenais toutefois à m’assurer que mon ravitaillement avait bien été livré à Fort McPherson, aux TN-O. Après un problème avec mon envoi à destination de Coldfoot, en Alaska, j’avais dû faire acheminer ma nourriture en urgence, par avion. Je ne souhaitais pas revivre cette mésaventure.
J’ai bien fait de vérifier, puisque le paquet accusait un retard prévu de deux semaines. Brent, le cycliste ontarien que j’avais rencontré six semaines plus tôt à Waston Lake, au Yukon, m’avait cependant parlé d’un système non officiel d’envoi de nourriture sur la route Dempster. En effet, le centre touristique de la route Dempster, à Dawson City, offre aux cyclistes de demander à des touristes de transporter leur nourriture vers le nord.
Le lendemain matin, j’ai finalisé mes préparatifs : passer à l’épicerie et à la pharmacie; préparer la boîte d’envoi; livrer la boîte d’envoi; manger le plus gros déjeuner possible; et prendre la route. J’ai finalement quitté la ville un peu avant midi. Le ciel était couvert et il ventait passablement fort. Malgré ces conditions, je suis arrivé au centre d’interprétation du parc Tombstone un peu après 22 heures. Il est interdit de camper en forêt dans ce parc et, à proximité du centre, les risques d’être surpris par un(e) garde du parc sont particulièrement élevés.
Je comptais donc me « faire des ami(e)s » au camping de Tombstone. Ce procédé consiste à interagir avec des campeurs et campeuses jusqu’à ce qu’on soit invité à passer la nuit. Par chance, j’ai croisé un groupe d’Allemand(e)s réalisant un documentaire à quelques pas du camping. J’ai donc pu passer la nuit avec eux, légalement, dans le parc.
J’ai monté ma tente sous la pluie. À mon réveil, il pleuvait toujours. Je devais toutefois poursuivre ma route afin d’avoir une chance de profiter, plus tard, du beau temps. Ce matin-là, je devais faire l’ascension du col North Fork, à 1 400 m d’altitude. Je savais que ma transmission serait rapidement mise hors fonction. J’ai donc engagé ma troisième vitesse (24/28)[1] et j’ai amorcé la lente montée. Comme sur la route Dalton, ma chaîne se coinçait par intermittence, mais j’ai à nouveau pu m’en tirer sans chuter. Il a plu jusqu’en début d’après-midi.
Un peu au nord de l’aérodrome du lac Chapman, un automobiliste s’est arrêté pour discuter avec moi. Il m’a d’abord demandé si je m’appelais « Felix », ce que j’ai confirmé, incrédule. Il m’a alors informé que Brent m’attendait au camping du ruisseau Engineer. Depuis quelques jours, sachant que j’avais prévu emprunter la route Dempster à cette période de l’été, il envoyait des messages par l’entremise des automobilistes afin d’organiser un point de rencontre.
J’ai donc donné un dernier effort pour parcourir les 65 kilomètres qui me séparaient toujours du camping. À mon arrivée, je l’ai trouvé, en compagnie de Randy, un autre cycliste, et de quelques touristes réfugié(e)s dans l’abri de cuisine. Toute la surface du camping était couverte d’une épaisse couche de boue et la région était infestée de moustiques. Je les ai donc rejoint(e)s dans l’abri, où j’ai aussi passé la nuit.
Brent avait croisé Randy à Inuvik. Le sexagénaire effectuait un aller-retour sur la route Dempster et Brent avait finalement choisi de l’accompagner. Il voyageait donc maintenant en direction sud et, moi, en direction nord. Nous nous sommes fait nos adieux le lendemain matin et avons poursuivi nos chemins respectifs.
Le ruisseau Engineer arbore une teinte orangée provenant du ruisseau Red. Celui-ci est contaminé par des dépôts ferreux. Il prend en amont une couleur noire, laquelle devient rouge à mesure que les minéraux qu’il transporte rouillent[2]. Les autorités yukonnaises recommandent de faire bouillir son eau pendant au moins une minute. Une cinquantaine de kilomètres en aval, l’eau de la rivière Ogilvie, dont le ruisseau Engineer est tributaire, est toujours teintée de rouge.
Il s’agit malheureusement du dernier point d’eau avant le camp d’Eagle Plains, situé 120 km au nord-est. Il est donc impératif de faire le plein d’eau avant de quitter les abords de la rivière. Quelques ruisseaux incolores croisent toutefois la route Dempster avant qu’elle bifurque vers la crête Ogilvie, culminant à 877 m d’altitude.
Chargé de plus de 5 kg d’eau, j’ai lentement roulé jusqu’au sommet. La route serpente ensuite le long de la crête sur plusieurs dizaines de kilomètres en offrant des prises de vue impressionnantes sur les environs : la chaîne Ogilvie, les montagnes Selwyn, les plaines Eagle et la rivière Peel, ainsi que ses affluents. J’ai établi mon campement pour la nuit sous la ligne des arbres, 50 kilomètres au sud du camp d’Eagle Plains.
Le lendemain, j’ai récupéré ma boîte de nourriture au camp, j’y ai dîné et je suis reparti vers le nord. J’ai croisé le cercle polaire arctique vers 16 heures, puis j’ai passé la nuit dans l’abri de cuisine du camping de la rivière Rock. Comme au ruisseau Engineer, les moustiques y étaient intolérables. Cela dit, les nuages avaient enfin fait leur place au soleil, comme je l’espérais.
À mon réveil, le ciel était toujours clair. J’avais gagné mon pari. Malgré quelques journées pluvieuses à mon départ de Dawson City, je pourrais entrer aux TN-O avec une température clémente. J’ai passé le col Wright en fin de matinée, à 955 m d’altitude, et j’ai rejoint Fort McPherson en début de soirée. La ville me semblait bien peu hospitalière, j’ai donc mangé mon second dîner de la journée et je suis reparti en direction de Tsiigehtchic.
J’ai atteint le traversier de la rivière Mackenzie à 23 h 15, soit 15 minutes avant le dernier départ. Alors que je me faisais patiemment dévorer par les moustiques, le capitaine du Louis Cardinal m’a invité à passer la nuit au camp des employé(e)s, sur la rive est de la rivière. J’ai pu y faire mon lavage et prendre une douche. En voyant la couleur de l’eau, j’ai rapidement compris pourquoi la tête me démangeait depuis quelques jours. J’étais couvert de poussière, soulevée par les nombreux camions qui parcourent la route.
J’approchais maintenant d’Inuvik, au bout de la route Dempster, où un couple croisé la veille m’avait également invité à dormir. À mon arrivée, il n’était que 15 heures. Je comptais donc me reposer et tenter de rejoindre Tuktoyaktuk, sur la rive de l’océan Arctique, en une seule journée. Le lendemain, on annonçait du soleil avec 15°C et un vent du nord à 15 km/h. C’était la dernière journée de la fenêtre de beau temps. À mon grand désarroi, envahi par l’anxiété, je n’ai pas trouvé le sommeil avant 3 heures du matin.
Route Inuvik-Tuktoyaktuk
À 10 heures, j’ai quitté la ville. Les arbres rachitiques du delta de la rivière Mackenzie laissaient ici place à la toundra. La route était mauvaise et le vent n’offrait aucun répit. Des équipes de travail mouillaient la route à peine compactée. La surface était couverte de pierre lâche atteignant parfois jusqu’à 10 cm d’épaisseur. Je peinais à conserver une vitesse de plus de 10 km/h. Maintenir mon équilibre était un combat de chaque instant. Mes abdominaux étaient en feu.
Un peu avant minuit, la vis avant de ma tige de selle a rendu l’âme en raison des fortes vibrations. Heureusement, je transportais des vis de rechange. À la fin de la saison, j’aurai dû la remplacer un total de cinq fois. Même avec le recul, je ne m’explique toujours pas ce problème récurrent. Je n’avais jamais subi un problème similaire auparavant. Quoi qu’il en soit, à ce moment, j’étais en furie. J’étais à court d’énergie, je donnais tout ce que je pouvais depuis maintenant 14 heures. Je n’avais pas besoin de ça. Au loin, je voyais Tuktoyaktuk. Il ne me restait que quelques kilomètres à parcourir.
Après quelques minutes de travail, je me suis ressaisi, j’étais presque rendu à destination. À cet endroit, la route changeait cependant de composition. La surface était maintenant lisse, mais rigide et traversée de traces de pneu profondes. On m’avait effectivement parlé de cette section, où l’on discerne l’histoire des accidents y ayant eu lieu : sorties de route et chutes de motocyclistes, avec les traces de pas ayant suivi. Il s’agit d’un tronçon qui avait été construit avant le lancement du projet de la route Inuvik-Tuktoyaktuk et dont l’infrastructure était déficiente.
À l’entrée de la ville, j’ai croisé une famille qui faisait un feu au bord de l’eau. J’en ai profité pour prendre la photo protocolaire lorsqu’on atteint un océan, dans lequel on doit tremper les roues de sa monture. J’ai ensuite continué jusqu’au bout de la route (69° 26′ 34″ N), de l’autre côté du village. Il était 1 heure du matin, il faisait autant soleil qu’en plein jour et des enfants jouaient dehors. La situation semblait irréelle. Puisque la route n’avait été ouverte au trafic qu’en novembre 2017, presque aucune infrastructure touristique n’avait été développée. Les visiteurs et visiteuses campaient sur une pointe s’avançant dans l’océan. On venait d’y construire le panneau annonçant qu’il s’agit de l’océan Arctique.
Sur la berge, un groupe d’autostoppeurs et d’autostoppeuses faisaient un feu. Malgré l’absence d’arbres dans la région, on y trouve du bois en abondance. Celui-ci est transporté vers le nord par les rivières se déversant dans l’Arctique. Un pêcheur nous a plus tard invité(e)s dans sa cabane pour manger du poisson séché. Vers 3 heures, il a pris son bateau pour aller nous chercher de l’alcool de l’autre côté de la baie. Pour acheter de l’alcool légalement, les résident(e)s de Tuktoyaktuk doivent aller à Inuvik. Il leur est interdit de posséder plus de 1,4 L d’alcool fort.
Nous avons passé la nuit debout. Une des deux autostoppeuses m’a informé que le propriétaire du restaurant End of The Road devait la transporter en ville à 9 heures. À mon grand plaisir, il a accepté de m’y amener aussi. Nous sommes arrivé(e)s un peu après 11 heures et il m’a déposé à l’épicerie, où j’ai fait le plein de nourriture avant de repartir à la recherche d’un transport vers le sud. Il m’aura finalement fallu quatre heures pour trouver une âme charitable.
Alors que je m’endormais littéralement debout, un policier de la Gendarmerie royale du Canada s’est arrêté à ma hauteur. « Where are you going? » m’a-t-il dit, avec sa voix sévère. J’étais inquiet, puisque j’ignorais s’il est légal de faire de l’auto-stop aux TN-O. Je lui ai dit que je tentais d’aller à Fort McPherson, ou plus loin vers le sud. Il a chargé mon vélo à l’arrière de son camion et nous avons parcouru les 200 kilomètres nous séparant du traversier de la rivière Peel en à peine 1 h 30.
Avant même que j’aie fini de décharger mes bagages, un habitant de Tuktoyaktuk attendant le traversier a accepté de me transporter jusqu’à Dempster Corner. Ma chance avait tourné. Une fois à bord, il m’a offert du poulet frit Kentucky. On trouve en effet une succursale de la chaîne au centre commercial d’Inuvik. Alors que nous faisions un court arrêt près du camping du ruisseau Engineer, il a jeté quatre cannettes de boisson gazeuse dans le fossé. Je n’ai rien dit. Je ne voulais pas risquer de le contrarier. J’avais besoin de lui pour encore 195 kilomètres.
Il m’a déposé à Dempster Corner vers 1 heure. J’étais debout depuis plus de quarante heures. Je devais encore parcourir les 40 kilomètres me séparant de Dawson City, à vélo. Je suis arrivé en ville un peu après 3 heures. Mon hôtesse Couchsurfing était certainement endormie. J’ai donc passé la nuit sur un banc, devant la chambre de commerce. J’étais exténué et je réalisais difficilement que c’en était terminé de l’Arctique. Je prenais maintenant la direction du sud. Mon prochain défi serait de faire face aux feux de forêt faisant traditionnellement rage dans l’ouest canadien à cette période de l’année.
La suite dans la prochaine édition,
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[1] Ce ratio correspond à un plateau de 24 dents et à un pignon de 28 dents, soit 86 tours de roue pour 100 tours de pédalier. Avec un pneu de 26×1,75″, cela équivaut à un déplacement de 1,7 m par tour de pédalier et à une vitesse de 8 km/h, à un rythme de 80 rpm.
[2] The all-natural ‘environmental disaster’: The Yukon creek that has been dyed red by rust for millennia, National Post bit.ly/2JVFJYS
Cet article a d’abord été publié en juin 2019 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].