Nouvel été, nouvelle aventure!
En septembre 2016, je publiais un article intitulé Les Grandes routes du Nord américain, à vélo[1]. Dans ce texte, je présentais quatre des routes les plus isolées du nord du continent américain. À l’époque, je venais de compléter l’une d’entre elles, soit la route Translabradorienne, après avoir traversé le Canada.
Deux ans auparavant, dans l’article Vélocipède[2], j’annonçais non seulement ce voyage, mais aussi mon intention de parcourir la Dempster Highway et la Dalton Highway, respectivement en 2017 et 2018. Toutefois, des travaux visant à prolonger la Dempster Highway jusqu’à Tuktoyaktuk, sur les rives de l’océan Arctique, m’ont poussé à retarder cette aventure d’une année. Cette route a été complétée le 15 novembre 2017[3] et c’est donc à l’été 2018 que je partirai à la conquête de l’Arctique.
L’été dernier, je me suis donc rabattu sur des trajets moins difficiles en préparation pour la route Transtaïga, à la Baie-James. J’ai séparé mon trajet en quatre parties : de Vancouver à San Diego; de Rock Springs à Montréal; de Montréal à Halifax, aller-retour; et du réservoir Caniapiscau au Lac-Saint-Jean.
Planification
Cette aventure de 13 400 km représentait plusieurs défis logistiques, notamment quant au transport, au ravitaillement et aux conditions météorologiques.
Tout d’abord, les cols des Rocheuses états-uniennes, beaucoup plus hauts que les cols canadiens, sont parfois fermés jusqu’en juillet en raison de la neige. Dans l’est, le traversier entre la Nouvelle-Écosse et le Maine n’est en service qu’à partir du 31 mai. Quant à la route Transtaïga, les conditions hivernales se prolongent jusqu’en juin. J’ai donc dû me résoudre à traverser le pays à deux reprises. Pour des raisons économiques, j’ai effectué le trajet en autobus, soit une durée totale de 7 jours.
En raison de l’isolement de la route Transtaïga, l’unique solution abordable était le transport en voiture. J’ai trouvé deux volontaires et j’ai déboursé leurs coûts de transport depuis Montréal jusqu’au réservoir Caniapiscau, un aller-retour de 4 000 km. Grâce au transport automobile, j’ai pu déposer des ravitaillements en nourriture à deux relais le long du trajet, ce qui m’a évité la gestion du ravitaillement postal, comme sur la route Translabradorienne. Cela m’a aussi permis de visiter les barrages hydroélectriques qui ne sont pas situés directement sur la route.
Côte Ouest des États-Unis
J’ai quitté Montréal le 19 avril, le lendemain de mon dernier examen. Après une journée de préparation finale, à Vancouver, j’ai enfourché ma bicyclette en direction de San Diego. Mon trajet suivait la côte d’aussi près que possible, ce qui m’évitait de devoir traverser les agglomérations de Seattle et Portland. Il m’a tout de même fallu quatre jours pour avoir vue sur l’océan Pacifique, près de Forks.
Deux cents kilomètres plus au sud, j’ai dû franchir un premier obstacle : le pont d’Astoria. Cet ouvrage de 7 km franchissant le fleuve Columbia n’est pas doté d’accotements. La traversée de ce pont signifiait aussi mon arrivée en Oregon, le point fort de cette première étape de mon voyage. Le lendemain, alors que je me dirigeais vers Cape Meares, j’ai rencontré le premier éboulement le long de ma route. Faute de surveillance, j’ai tout de même emprunté la route, ce qui m’a évité un détour d’une dizaine de kilomètres.
Les jours suivants, j’ai croisé des dizaines de glissements de terrain. De nombreux passants et passantes m’ont informé d’importantes fermetures de routes en Californie. J’avais toutefois la tête ailleurs, alors que je me préparais pour la difficile traversée de la Lost Coast. J’ai publié un article intitulé Lost Coast, California[4] spécifiquement au sujet cette route dans l’édition de juillet 2017.
Une fois à San Francisco, l’unique moyen de contourner les fermetures le long de la route #1 aurait été d’utiliser la route #101, une autoroute passante évitant complètement la magnifique région de Big Sur. J’ai donc loué un véhicule afin d’aller passer quelques jours dans la vallée de Yosemite. L’endroit est bordé de part et d’autre par d’imposantes falaises de granite franchies par d’impressionnantes chutes, lesquelles font la renommée de la région.
Après ce repos de quelques jours dans les montagnes, j’ai laissé le véhicule de location à Santa Barbara. Il ne restait alors que trois jours avant mon arrivée à San Diego et la fin de cette première section du voyage. Une fois à destination, j’ai dormi en périphérie du centre-ville, puis, à 6 h du matin, j’ai pris place dans le premier des quatre autobus qui me transporteraient respectivement vers Phoenix, Saint Louis, New York et Montréal, en un total de 80 heures.
Provinces de l’Atlantique
Après quelques jours à Montréal, j’ai à nouveau quitté la ville le 23 mai, cette fois-ci en direction de Halifax. J’ai tout d’abord pris la route vers le parc national d’Acadia et le mont Cadillac. J’ai ensuite longé la côte vers la Nouvelle-Écosse, en effectuant un détour vers le parc provincial Hopewell Rocks. J’ai heureusement réussi à synchroniser mon arrivée avec la marée basse afin de pouvoir marcher au bas de la falaise, sous les fameux rochers.
Ce soir-là, pour ma fête, je me suis arrêté à un Irving Big Stop. Après une journée froide et pluvieuse, j’ai grandement profité des services offerts aux camionneurs et camionneuses : réseau Wi-Fi plus rapide, douches de luxe, laveuse et sécheuse, salon avec divans et télévision, restaurant et épicerie, ainsi qu’un énorme terrain gazonné où planter ma tente.
Le lendemain, j’ai complété la route vers Halifax. Pour mon retour à Montréal, je prenais maintenant la direction de Yarmouth, afin de prendre le traversier vers Portland. Malgré des vents dominants soufflant d’ouest en est, j’ai atteint ma destination sans difficulté et je suis donc rentré aux États-Unis quatre jours plus tard, en début d’après-midi.
Je n’étais alors qu’à 475 km de Montréal et je comptais m’y rendre trois jours plus tard. J’ai roulé jusqu’au coucher du soleil afin d’approcher autant que possible du pied du col Kangamagus, haut de 863 m. J’ai atteint le sommet vers midi. En ce 6 juin, il ne faisait que 42 °F, avec de la pluie. 25 km au nord-est, au sommet du mont Washington, il neigeait.
Le lendemain soir, j’ai atteint Burlington. Je n’étais plus qu’à 150 km de Montréal et je comptais arriver en fin d’après-midi. Je suis parti tôt avec l’intention de déjeuner sur la route, à South Hero. En empruntant le Colchester Causeway, j’économisais 15 km et je pouvais profiter de la vue unique offerte par cette digue traversant le lac Champlain.
Ce raccourci s’est toutefois avéré être un cauchemar. À 300 m de la rive, près de South Hero, la digue est interrompue afin de laisser passer les bateaux. Au lieu d’un pont-levis, il faut prendre un traversier pour vélos, lequel n’est ouvert que les fins de semaine à cette période de l’année. J’ai dû rebrousser chemin et effectuer un détour de 30 km pour arriver à South Hero.
J’ai donc redoublé d’efforts. Je ne transportais plus de nourriture et ma motivation atteignait des sommets. J’ai roulé entre 30 et 35 km/h toute la journée, si bien que je suis arrivé sur la Rive-Sud en fin d’après-midi. Ma joie de vivre a cependant à nouveau été ternie en raison de la fermeture du circuit Gilles Villeneuve, m’empêchant de prendre le pont de la Concorde. Ce détour par l’île des Sœurs a ajouté un autre 10 km à ma journée, portant le total à 195 km. Quoi qu’il en soit, j’étais enfin à la maison, pour quelques jours.
Traversée du Canada et rocheuses états-uniennes
Le 14 juin, après avoir remplacé ma chaîne et ma selle, dont une des tiges d’acier s’était rompue en Oregon, j’ai repris la route. J’aurais cependant dû faire plus attention lors de mon entretien. Au cours du mois suivant, je me suis vu forcé d’arrêter à quatre reprises pour effectuer des réparations d’urgence.
À Ottawa, j’ai dû remplacer les galets de mon dérailleur arrière. À Petawawa, j’ai fait inspecter, nettoyer et ajuster ma transmission, laquelle me posait toujours des problèmes. À Thunder Bay, j’ai dû remplacer ma chaîne et ma cassette. À Winnipeg, j’ai à nouveau fait nettoyer et ajuster ma transmission. J’ai aussi dû acheter un nouveau boîtier de pédalier. Mes problèmes n’étaient pas encore réglés, mais j’étais résigné quant à l’état de ma bicyclette. Même les meilleures pièces ne peuvent visiblement pas résister à des dizaines de milliers de kilomètres d’usure. Mon pari, en début de saison, de ne pas remplacer préventivement l’ensemble des pièces de la transmission avait visiblement été une erreur.
Nonobstant ces obstacles, un mois après avoir quitté Montréal, j’étais finalement à Calgary. Par chance, je n’avais pas fait face à de trop forts vents provenant de l’ouest. J’avais même pu profiter d’un vent de dos de Regina à Swift Current, ce qui m’avait permis de parcourir 250 km en un(e) après-midi! Je prenais maintenant la direction des montagnes, et il n’était plus temps de prendre des risques. J’ai remplacé les dernières pièces pouvant encore poser problème et j’ai continué ma route.
Les feux de forêt battaient leur plein en Colombie-Britannique et j’ai été accueilli dans les Rocheuses par une dense fumée et une pluie de cendre. Une fois passée la ville de Canmore, ma route bifurquait cependant vers le sud. J’ai donc choisi de continuer malgré les mauvaises conditions.
J’ai quitté la vallée de la rivière Bow en début de soirée, en direction des lacs Spray. J’ai campé au bord du réservoir supérieur après avoir complété la plus grande ascension de la Smith Dorrien Trail. La route de gravier était en très mauvais état et ma progression était grandement ralentie.
À mon réveil, j’avais une crevaison. Comble de malheur, j’avais perdu l’adaptateur de valve Presta de ma pompe. Celle que j’utilisais auparavant avait rendu l’âme en Californie et je me contentais à ce moment d’une pompe à valve Schrader, incompatible avec mes chambres à air. J’ai abandonné mon vélo dans la forêt et j’ai fait du « pouce » vers Canmore. Quatre heures plus tard, grâce à l’aide de cinq automobilistes différents, et avec 2 $ de moins en poche, j’étais de retour à mon point de départ avec un nouvel adaptateur. Il était 15 h lorsque j’ai pu reprendre la route et je devais parcourir 100 km pour respecter ma planification journalière.
Je n’ai pas baissé les bras et, en début de soirée, j’ai atteint le sommet du col Highwood, soit la plus haute route pavée au Canada. La route était ensuite toute en descente et je suis arrivé au relais de Highwood House au coucher du soleil. 140 km me séparaient maintenant de Sparwood, dont 110 km de gravier, avec un dénivelé d’environ 2 000 m. Heureusement, cette route était en bien meilleur état que la Smith Dorrien Trail.
J’ai atteint la ville le jour suivant, juste avant la fermeture des restaurants, un luxe après deux nuits en forêt. Cette nuit à Sparwood était la dernière au Canada pour cette section du voyage. Je prenais maintenant la direction des États-Unis, vers Rock Springs. Sur ma route, j’emprunterais d’abord le col Logan et la célèbre Going-to-the-sun-road, présentée dans l’introduction du film The Shining.
Après ce col et un passage à Helena, j’ai bifurqué vers l’est en direction de Red Lodge, au pied du col de Beartooth. Le jour de l’ascension, afin d’éviter les orages d’après-midi, j’ai réglé mon cadran à 5 h du matin. En fin d’avant-midi, je suis arrivé au sommet du monstre culminant à 3 345 m, soit presque 1 800 m au-dessus de Red Lodge. J’ai terminé la journée à Cooke City, à la porte du parc national de Yellowstone, dans lequel j’ai passé les deux journées suivantes.
Malgré une planification serrée, en roulant du matin au soir, j’ai pu visiter de nombreux points de vue à couper le souffle dans le Parc. J’ai vu une centaine de geysers dont le célèbre Old Faithful, que j’ai eu la chance de voir entrer en éruption. J’ai aussi pu observer la tout aussi célèbre source chaude Grand Prismatic. À la sortie du Parc, je suis également passé au pied de l’impressionnante chaîne des Tétons, dont certains sommets culminent plus de 2 000 m au-dessus de la vallée.
La vue de ces paysages hors du commun justifiait amplement l’ennuyante traversée de l’Ontario, les journées suffocantes dans les plaines arides du Montana où le mercure atteignait 130 °F au soleil, ainsi que les nombreux bris mécaniques. C’est même avec une certaine mélancolie que je comptais les derniers kilomètres me séparant de Rock Springs. Deux jours après être sorti du parc national de Grand Teton, j’avais terminé cette troisième section de mon aventure.
Pour retourner à Montréal, il me restait à prendre l’autobus pendant trois jours. Toutefois, le premier de sept autobus est arrivé avec 6 h de retard, ce qui m’a fait rater tous les autobus suivants. À mon arrivée à Montréal, à 3 h du matin, ce retard totalisait maintenant 12 h. En effet, voyager en autobus n’a pas que des avantages.
Je n’avais cependant pas le temps de m’apitoyer sur mon sort. Je devais me préparer pour la dernière section de mon voyage, de la Baie-James au Lac-Saint-Jean. Je devais notamment remettre mon vélo en état et chausser ses nouvelles roues 26″, dotées de pneus d’un diamètre de 45 mm, spécialement assemblées pour la route Transtaïga.
La conclusion de cette aventure dans l’édition de mars,
[1] Les Grandes routes du Nord américain, à vélo, L’Heuristique
[2] Vélocipède, L’Heuristique
[3] Vous pouvez conduire jusqu’à l’arctique, Radio-Canada
[4] Lost Coast California, L’Heuristique
Cet article a d’abord été publié en janvier 2018 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].